Au cœur des hauteurs du Tampon, à plus de 700 mètres d’altitude, Graziella La Rosa, une productrice passionnée, redonne vie à un pan du patrimoine agricole réunionnais. Découvrez le parcours qui l’a menée à s’intéresser au café Bourbon pointu et aux plantes médicinales péï. Rencontre avec une femme aux multiples casquettes, reconvertie à 50 ans dans l’agriculture, après 30 ans de carrière dans le commerce.
Une reconversion guidée par la passion
Après avoir œuvré dans la parfumerie, la pharmacie ou encore l’import-export, Graziella opte pour un changement de vie à 180° ! En 2018, elle s’installe au Petit Tampon sur une parcelle initialement en friche. Son projet initial : cultiver un café d’exception, le Bourbon pointu.
Le café, une évidence
Avant même de poser la première pierre de son projet agricole, elle a pris le temps de réfléchir. Deux ans d’étude, de questionnements, pour répondre à une seule question : quelle plante avait vraiment du sens pour elle ? Et c’est le café qui s’est imposé. Pas par hasard. Par amour d’abord – « parce que j’aime le café » – mais aussi pour ce qu’il représente à La Réunion, dans l’histoire et dans la mémoire collective.
Avant la canne à sucre, il y avait le café. Une culture oubliée, marquée par des pages douloureuses de l’histoire : « À l’époque, ce sont les esclaves qui devaient s’occuper de leurs parcelles et de la cueillette. » Elle, elle veut inverser le regard, redonner au café sa noblesse. Le réhabiliter comme une plante porteuse de sens, de fierté, de lien.
Et puis, il y a l’humain. « Le café, c’est le prétexte à la rencontre », dit-elle. Elle évoque ces moments simples mais essentiels : une discussion autour d’une tasse, un échange, un regard. À l’heure où les gens s’isolent derrière leurs écrans, elle rêve d’un café qui rassemble. Un café qui raconte une histoire : celle d’un terroir, d’un lieu de naissance, d’un retour à la terre. « Si en plus on peut dire qu’il vient d’ici, de là où on vit, alors là… »

C’est ainsi qu’en 2018, elle s’installe au Petit Tampon sur un terrain de 1,5 hectare en friche. Le point de départ, ce sera donc le café Bourbon pointu, variété emblématique et raffinée, parfaitement adaptée aux hauteurs de l’île.
Graziella s’implique également dans la filière : « À chaque saison, nous dégustons à l’aveugle les lots de tous les producteurs de l’île. Chaque café est évalué selon un barème international, et les résultats sont ensuite analysés informatiquement. Cela permet de savoir si l’on a affaire à un bon café — voire à un café d’exception. Et à La Réunion, je peux vous dire qu’il n’y a que de l’excellent. », sourit-elle.
Elle souligne aussi l’importance du travail mené en amont sur les variétés cultivées : « Toutes les variétés que nous plantons ont été soigneusement sélectionnées pour leur qualité. Il en existe trois ou quatre, adaptées à différentes altitudes et régions de l’île. Grâce au travail rigoureux du CIRAD, on cultive ici un Bourbon pointu unique, parfaitement adapté à notre terroir. »
Des pratiques respectueuses de l’environnement
Un modèle d’agroforesterie réfléchi
« J’ai commencé par planter du café. L’installation de ma caféière s’est faite progressivement, sur deux ans. Une fois les jeunes plants en place, il a fallu penser à leur protection. Des anciens caféiculteurs m’avaient conseillé d’y associer des arbres d’ombrage, notamment le jacquier, idéal pour les premières années. »
Mais très vite, le projet prend une autre dimension. Accompagnée par les experts de l’Armeflhor, elle conçoit un modèle d’agroforesterie encore unique à La Réunion : une plantation de café enrichie d’une grande diversité de plantes médicinales. Ambaville, lingue café, bois d’arnette, change-écorce, géranium, ayapana… s’invitent autour des caféiers.
Les plantes médicinales remplissent plusieurs fonctions : elles apportent de l’ombre, forment des haies naturelles, et sont surtout valorisées en tisanes. Pour cela, elle a travaillé en partenariat avec des pharmaciens et des coopératives locales, comme la CAHEB.
« C’est un secteur très encadré, avec une réglementation stricte. Il fallait absolument un appui sérieux de professionnels de santé. Ça a pris du temps, mais aujourd’hui, c’est en place. On trouve désormais dans les pharmacies des plantes de La Réunion — dont celles que je cultive sur ma parcelle. »

Et un retour aux sources
Dès le départ, cette agricultrice s’inscrit dans une démarche écoresponsable. Bien que le label bio ne lui sera officiellement décerné qu’en 2026, ses pratiques, elles, le sont depuis le début : désherbage manuel, lutte biologique, récupération des déchets organiques en partenariat avec un voisin éleveur, irrigation optimisée… « On installe bientôt des sondes pour adapter l’arrosage aux besoins précis des plantes, c’est à la fois écologique et logique. »
Elle accorde aussi une grande importance aux savoirs ancestraux : « Travailler avec la lune, écouter les anciens… Ils ont des techniques précieuses qu’aucune formation ne vous enseigne. »
Ce projet n’est pas qu’une exploitation. C’est un acte contribue à conserver notre patrimoine aussi bien culturel que végétal. Pour la valorisation du café réunionnais – « symbole de convivialité », dit-elle – et pour le retour des plantes médicinales dans les foyers.

Mais Graziella rêve aussi de transmettre sa passion : « Je ne mets aucune plante toxique sur ma parcelle. Je veux que ce soit un espace sûr, même pour les petits. » Et à ceux qui cherchent à découvrir le métier d’agriculteur, elle ajoute : « Ma porte est ouverte.»
La phytothérapie : un mode de vie
À la question « est-ce que vous utilisez la phytothérapie ? », la réponse est immédiate, presque instinctive : « Moi, je n’utilise que ça. » Pour cette agricultrice passionnée, les plantes médicinales ne sont pas un effet de mode, mais un héritage familial, une expérience de terrain, une connaissance cultivée avec le temps.
« Depuis toute petite, j’ai baigné dedans. Mes parents étaient très « phyto », comme on dit. » Née en Alsace mais élevée à La Réunion, elle se souvient d’une époque où les antibiotiques n’étaient pas encore accessibles à tous. Dans son enfance, les plantes étaient le premier remède, utilisées en friction, en inhalation, en olfaction. Et cette approche, elle l’a poursuivie à l’âge adulte, avec sa propre fille, mais aussi en se formant sérieusement : « J’ai fait des formations, tout simplement. »
Son passage par le milieu pharmaceutique a aussi forgé sa prudence : « Les gens ne vous disent jamais ce qu’ils prennent. Ils cachent la vérité. Du coup, on peut leur conseiller un produit qui, combiné avec un autre qu’ils prennent déjà, devient dangereux. » D’où, pour elle, l’importance de connaître les plantes, de les comprendre, de les utiliser avec discernement.
Vous aussi, vous avez envie de vous former à la phytothérapie et à l’usage des plantes médicinales ? Parcourez nos différentes formations et ateliers.
Des défis à relever… et des projets pour l’avenir
Cultiver sans posséder la terre : un défi d’adaptabilité
« Le terrain ne m’appartient pas : je dispose d’un bail emphytéotique de 18 ans. À l’issue de ce délai, je devrai le restituer, sans possibilité de le vendre. C’était clair dès le départ. »
Cette contrainte forte a guidé Graziella sur ses pratiques agricoles. Elle a ainsi conçu un système durable et transmissible, reposant sur des cultures pérennes, dont le café Bourbon pointu — des plantes qui continueront d’avoir un intérêt même après son départ.
Elle a également installé du vétiver, une plante qui joue un rôle écologique important : « Il permettra de maintenir le sol en place, même si les cultures s’arrêtent un jour. » En plus de son rôle anti-érosion, le vétiver peut être valorisé comme paillage, contribuant à préserver l’humidité du sol et à favoriser la couverture végétale autour des cultures.
« Et si personne ne s’en occupe après moi, le terrain redeviendra une forêt », ajoute-t-elle. Une manière de penser l’agriculture non pas comme une rupture avec la nature, mais comme une transition réversible, respectueuse des cycles naturels.
Finalement, les limites imposées par le bail peuvent devenir un moteur d’innovation, amenant à imaginer une agriculture à la fois résiliente, responsable et tournée vers l’avenir.

La maladie de l’agriculteur : un défi souvent ignoré ?
Devenir agricultrice, c’est embrasser un métier exigeant, physiquement et mentalement. Graziella ne le cache pas : « C’est un métier dur. » Dès les premières années, elle prend conscience des risques souvent passés sous silence : les postures, les gestes répétés, les outils inadaptés. « On ne nous donne pas les infos, surtout sur les maladies professionnelles. La plupart des agriculteurs souffrent énormément au niveau du dos, des mains, des bras. Moi-même, j’ai eu une sciatique et une hernie discale… la même année. »
Avec son collègue, elle cherche à adapter ses pratiques au quotidien. L’idée : soulager le corps tout en restant efficace. « On essaie de travailler en fonction de notre posture. Les lits sont hauts, mais pas assez… alors on improvise, on ajuste. » Pour elle, ce souci d’ergonomie fait partie intégrante du projet agricole.
Mais une difficulté persiste : « Le problème, c’est comment partager ces solutions. » Le savoir circule peu, souvent bloqué par l’isolement des exploitants ou le manque de réseau structuré…

Structurer la filière des plantes médicinales
Ce besoin de structuration, Graziella le retrouve aussi dans un autre domaine qui lui tient à cœur : la valorisation des plantes médicinales locales.
Pour elle, il ne fait aucun doute que les plantes médicinales locales doivent être conservées et valorisées, tant pour leur singularité que pour leurs bienfaits. « Évidemment pour leur vertu, et parce qu’elles sont uniques. C’est unique à La Réunion. » Certaines de ces plantes, encore peu connues du grand public, attirent pourtant l’attention à l’extérieur de l’île. « Les gens viennent acheter, essayer d’exporter des plantes médicinales réunionnaises. Il y a un vrai marché sur la métropole. »
Mais le potentiel est encore largement sous-exploité, faute de structuration. Selon elle, il manque un réseau solide de producteurs, une filière clairement organisée : « Il n’y a pas un annuaire des producteurs. Il faudrait aussi structurer la filière pour le séchage et le conditionnement. »
Elle imagine un lieu central à La Réunion, un espace de conditionnement mutualisé, où les plantes pourraient être préparées selon les normes spécifiques à chaque filière. « Ce serait intéressant. On pourrait imaginer un emballage de base sobre, puis chacun ajoute sa touche personnelle. Un nom, une histoire, une étiquette. »
Au-delà de la logistique, c’est tout un savoir-faire local qu’elle souhaite préserver et faire rayonner, à travers un cadre plus cohérent et professionnel. Une manière, aussi, de créer des débouchés économiques pour les producteurs, les conditionneurs, les distributeurs — et de replacer les plantes médicinales réunionnaises dans une dynamique de reconnaissance et de fierté locale.
Graziella propose une mine d’idées qui ne demandent qu’à germer !

En cultivant le café Bourbon pointu et les plantes médicinales péï, Graziella fait bien plus que produire : elle transmet un héritage, valorise La Réunion et tisse des liens entre savoirs anciens et agriculture d’avenir.
De la tasse de café à la tisane du soir, c’est finalement tout un art de vivre réunionnais qu’elle remet au goût du jour !